Suspension des paiements des dépenses publiques : la décision est-elle conforme à la loi ?

L’Inspection générale des Finances (IGF) a adressé une lettre aux institutions et services publics, leur demandant de « geler, à dater du 22 février 2024, le paiement de toutes les dépenses du Trésor public validées ou en attente de validation dans le pipe-line de vos services ». La décision intervient quelques jours après la démission du gouvernement et la requalification de sa mission par le Président Félix Tshisekedi.

Dans ce courrier, l’IGF interdit le paiement de toutes les dépenses d’investissements. Celles de fonctionnement et de rémunération peuvent toutefois être ordonnancées et payées par le Trésor public. Une mesure suspensive de recrutement et du personnel public a été aussi prise. “« Cette lettre (de l’IGF : ndlr) ne constitue pas une décision, car aucune règle générale et impersonnelle n’en ressort. Par conséquent, elle ne peut modifier quoi que ce soit, ni réglementer quoi que ce soit. Elle n’est qu’une exécution d’une décision prise par une autre autorité », a déclaré Me Grâce Muwawa du Desk Justice D'ACTUALITÉ.CD.

"L’Ordonnance n° 20/137-b du 24 septembre 2020 limite les compétences de l’Inspection générale des Finances aux missions d’audit, contrôle, vérification et contre-vérification et de surveillance des Administrations financières de l’Etat, de la Banque Centrale du Congo et de tous autres services, organismes, établissements publics de l’État. Elle agit soit sur instruction du Président de la République, soit à la demande du gouvernement, soit sur réquisition des autorités judiciaires". Pour le Président du Conseil d’Administration de l’Observatoire de la dépense publique (ODEP), le professeur Florimond Muteba, la lettre de l’IGF est régulière: « Un gouvernement démissionnaire ne peut pas fonctionner en plein pouvoir. Il faut attendre la formation d’un gouvernement de plein exercice qui pourra alors se mettre au travail et assumer toutes les responsabilités ».

Une mesure qui suspend le circuit budgétaire ?

La mesure prise par l’Inspection générale des Finances suspend de facto le fonctionnement du circuit et l’application du manuel des procédures de la dépense publique. L’on se souvient que dans son rôle de régulateur des dépenses publiques, le 24 janvier dernier, le ministre du Budget, Aimé Boji, a communiqué à tous les services les publications des allocations et le plafond des dépenses pour le premier trimestre 2024, soit un mois après la promulgation de la Loi des finances de l’année.

Le courrier de l’IGF met à dos les articles 103 et 104 de la loi relative aux finances publiques, qui confèrent aux ministres des Finances et du Budget le plein pouvoir sur la dépense publique. Contactés, le ministre du Budget, Aimé Bodji, et le cabinet du président de la République (Mme Tina Salama, porte-parole du président de la République) sont restés injoignables. La rédaction n’a pas été en mesure d’obtenir leur réaction à cette question.  

Toutefois, toutes les dépenses seront désormais filtrées par la Présidence de la République. On se souvient qu’en 2019, deux jours après l’entrée en fonction du Président Félix Tshisekedi, son directeur de cabinet, Vital Kamerhe avait pris une décision similaire. La suspension de la chaîne des dépenses publiques avait occasionné d'énormes problèmes de gouvernance financière en République démocratique du Congo. Les opérations financières de l’exercice budgétaire ont été clôturées par un déficit de 255,5 millions USD, d’après un rapport de la Banque Centrale du Congo de la période. De son côté, le ministère du Budget a indiqué qu’au 31 septembre 2019, les dépenses de l’ordre de 2,8 milliards USD ne disposaient pas des pièces comptables.  A cela s’ajoute la baisse drastique des réserves de change internationale, la prépondérance des marchés de gré à gré et le choc sur le cadre macroéconomique.

Bienvenu Ipan