Aux africains : nos langues meurent, nous aussi (Tribune)

Ph. ACTUALITE.CD

Une langue n'est pas qu'un instrument de communication. C'est avant tout le reflet de la vision du monde, de l'expression du génie et de l'imaginaire de tout un peuple. Elle incarne l'identité sociolinguistique, socioculturelle, socio-éducative, sociopolitique et socioéconomique de son peuple. C'est également le vecteur de l'unité et du développement du peuple qui la parle. C'est enfin un instrument de pouvoir, de domination entre les peuples.

Avec environ 2000 langues, l'Afrique détient 1/3 des langues qu'il y a dans le monde. Un riche patrimoine linguistique qui est malheureusement aujourd’hui menacé. En cause ? 2 facteurs :

1. La crise de la conscience identitaire et culturelle africaine

Problème commun à tous les africains programmés pour vivre selon le modèle des autres et caractérisé par l'abandon par les locuteurs de leurs propres langues en faveurs des langues occidentales.

Il s’agit en grande partie des locuteurs intellectuels vivants dans des milieux urbains plus ou moins aisés, ayant adopté les langues occidentales comme langues maternelles (français, anglais, portugais etc. selon les pays) au détriment de leurs propres langues. Les enfants n’apprennent donc pas à parler leurs propres langues et, dans ces familles, en général, il est formellement interdit de parler les langues africaines ni à la maison ni à l’école. Par ailleurs, les zones rurales qui constituaient les derniers remparts et foyers de la sauvegarde des langues et des traditions se vident chaque jour davantage en faveur de zones urbaines, obligeant ainsi, ces locuteurs, en quête de meilleures conditions socioéconomiques, d’abandonner leurs langues, parlées le plus souvent par des minorités.

Si nos enfants ne parlent pas nos langues, ils ne sauront pas les transmettre à leurs enfants qui ne sauront pas les apprendre à leur tour à leurs enfants. Et si le cycle continue, après 2 ou 3 générations, qu’adviendra-t-il de nos langues ? Il n’y aura plus personne pour les parler. Pas de locuteurs, pas de langues. La mort de langue est ainsi actée.

C’est de cette façon que disparaissent chaque année de nombreuses langues africaines et, ce, sous le regard indifférent de nos pouvoirs publics qui croient devoir répondre à des questions plus urgentes que l’avenir de nos langues, de nos cultures, de nos peuples.

2. L’absence des politiques linguistiques étatiques efficaces axées sur la promotion des langues africaines

L’adoption par la plupart des Etats et institutions continentales africains des langues occidentales comme langue officielle est la forme officialisée de cette crise de la conscience identitaire et culturelle africaine mentionnée ci-haut.

Sur environ 2000 langues que comptent le continent, seules 10 langues sont des langues officielles dans quelques pays africains: afrikaans (Afrique du Sud, Namibie), kirundi (Burundi), amharique (Ethiopie), swahili (Kenya, Tanzanie), somali (Somalie), sesotho (Lesotho) swati (Eswatinie), kinyaruanda (Rwanda), malgache (Madagascar) et l’arabe dans quelques pays du nord. Sur le reste du continent, ce sont des langues occidentales qui sont des langues officielles. De même, sur les 6 langues officielles de l’Union africaine, il n’y a que 2 langues africaines (swahili et arabe). Comme nous pouvons le voir, à l’exception de ces quelques pays conscients des enjeux sociolinguistiques de leurs peuples, nos politiques linguistiques censées promouvoir nos langues sont résolument tournées vers la promotion des langues étrangères. Pourtant, nos Etats ont le pouvoir décider du sort de nos langues, tant sur le plan statutaire et institutionnel (élévation au rang de langue officielle ou nationale, utilisation dans l’administration publique, enseignement à l’école, à l’université) que sur le plan d’aménagement linguistique (standardisation, terminologie, production des ouvrages de référence) et ainsi faire face à l’occidentalisme et l’impérialisme linguistiques.

Comment voulez-vous qu’une personne, un peuple, un pays, un continent qui parle, pense, étudie, imagine, travaille, conçois et crée en français/anglais/portugais puisse être et vivre africain, congolais, sénégalais, somalien ? En renonçant à nos langues, nous renonçons à nos cultures, à nos traditions, à notre vision du monde, à notre génie créatif, à notre imaginaire, à nous-mêmes ; nous renonçons à l’Afrique et nous cessons d’exister.

Un africain, c’est celui qui parle, pense, étudie, imagine, travaille, conçoit, crée et vie africain. Sans quoi, L’africain n’existe pas, l’Afrique non plus.

Tribune de BESANZAMI NGONO Glodi ; Fondateur de Mbote-Lingala, Linguiste, Ingénieur pédagogique et Formateur des enseignants