RDC: « j’appelle mes compatriotes à remettre en question leur perception sur la personne handicapée» Arlette Bashizi

Photo/ Droits tiers
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Alors que la proposition de loi organique portant protection et promotion des droits des personnes vivant avec handicap (PVH) a été adoptée au niveau des chambres du parlement, dans le Nord-Kivu, des jeunes photojournalistes ont lancé une exposition interrogeant la perception de cette catégorie dans les communautés congolaises. Arlette Bashizi revient sur les motivations de ce projet. 

Bonjour Madame Arlette Bashizi, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ? 

Arlette Bashizi : je suis une photographe basée dans la ville de Goma. J’ai commencé ma carrière en 2018 et ça fait plus ou moins deux ans que je vis de la photo. 

Votre expo-photo dans le Nord-Kivu est axée sur la documentation des personnes handicapées avec une interrogation sur les préjugés dont elles sont victimes. Pouvez-vous nous parler de l’objectif de ce projet ? 

Arlette Bashizi : le projet « Sans Limite »  a pour objectif de pousser ma communauté à remettre en question la perception qu’elle a sur la personne vivant avec handicap. Dans la société où nous vivons, on a tendance à penser qu’être handicapé est synonyme de mendicité ou de faiblesse alors qu’en réalité on est tous humains avant d’avoir un handicap ou pas. 

Quelle a été votre source d’inspiration et pourquoi l’avoir dénommée « SANS LIMITE » ? 

Arlette Bashizi : à Goma, je voyais des personnes handicapées très motivées et courageuses qui voient au-delà de leur état physique. Des personnes dont les histoires n’étaient pas documentées par les médias internationaux. Ainsi mon collègue Moses Sawasawa et moi, nous sommes dit qu’on pouvait utiliser nos caméras pour documenter ces histoires et les partager avec le monde et avec notre communauté en particulier. « Sans Limite » d’abord pour dire que même le handicap ne peut pas être une barrière pour celui qui veut réussir.Le fait de ne pas avoir de pieds ne devrait pas empêcher un jeune qui veut faire du basket par exemple. Au contraire, au lieu de se concentrer sur ce qu’il n’a pas (les pieds) il devrait se concentrer sur comment jouer au basket en étant dans un fauteuil roulant.  Celui qui a ses deux pieds et mains qu’est-ce qui peut l’arrêter si ce n'est  des excuses et limites qu’il s'impose mentalement ? Ce projet remet en question les limites qu’on se fixe dans la vie, car handicapé ou non, chaque humain a son handicap. 

Vous avez exposé à Goma, puis dans le quartier Buhene en territoire de Nyiragongo. Qu’est ce qui explique le choix de ces sites ? 

Arlette Bashizi : notre première cible c’est la communauté. D’habitude lors des expositions photos, la communauté n’a pas un accès direct aux salles d’expositions. Nous avons voulu être en contact direct avec notre cible. Aussi, cette partie du territoire de Nyiragongo a récemment été ravagée par la lave qui a tout emporté lors de la récente éruption du volcan. Nous pensons qu’en ces temps difficiles que traverse la population de Buhene, voir ces tableaux avec des messages de résiliences et échanger avec cette communauté pourra les aider à surmonter cette période difficile et briser les barrières pouvant leur empêcher de se reconstruire. 

Combien de temps vont durer ces expositions ? 

Arlette Bashizi :  les expositions itinérantes vont aller jusqu’au 17 décembre. 

En 2020, pendant le confinement, vous aviez également participé au projet « Congo in conversation ». Que retenez-vous de cette expérience ? 

Arlette Bashizi : le projet « Congo in Conversation » a été pour moi  une opportunité  qui m'a permis d’apprendre encore un peu plus sur le monde photographique et dans la narration visuelle. Car au-delà de ma contribution au projet, j'ai également  eu la possibilité de participer à des séances de workshop auprès de grands professionnels du photojournalisme. Ça m’a également permis de gagner en visibilité et de décrocher des contrats avec des organisations internationales. 

Sur quel autre projet travaillez-vous actuellement ? 

Arlette Bashizi : nous continuons à travailler sur le projet « Sans Limite » avec mon collègue Moses Sawasawa vu que c’est un projet à long terme. Et personnellement je travaille sur un projet qui porte sur la malnutrition et la production agricole en RDC. J’essaie de confronter les deux thématiques.

Avez-vous des modèles, des personnes qui vous inspirent? 

Arlette Bashizi : à part la vie quotidienne de ma communauté, je dirais que j’ai également des personnes dont les travaux m’inspirent parmi lesquels Finbarr O’Reilly, Gwenn Dubourthoumieu, Etinosa Yvonne, … 

Parlons de l’évolution du photojournalisme en RDC. Quels défis rencontrez-vous dans ce secteur ? Et quelles sont vos astuces pour réussir? 

Arlette Bashizi : je dirais qu’en RDC le photojournalisme comme métier reste une des carrières les plus difficiles car c’est un domaine qui a  toujours été occupé par un regard extérieur. Mais je dirais qu’il y a de l’espoir car il y a pas mal de jeunes photojournalistes congolais qui sont en pleine émergence et dont l’avenir est prometteur. Pour réussir il y a peu d’astuces, le dur labeur, l’amour de son métier et le fait de savoir saisir les opportunités.

Que faut-il pour un rayonnement des photojournalistes congolais ? 

Arlette Bashizi : il faut que nous puissions nous approprier nos histoires et arriver à les documenter par nous-même. Nous devons également travailler dur pour arriver à vendre nos œuvres, non pas du fait d'être congolais mais plutôt pour notre savoir-faire. 

Un dernier mot ? 

Arlette Bashizi : j’invite nos dirigeants et tous ceux qui le peuvent à soutenir et à continuer d’appuyer les différents projets des personnes handicapées. J’appelle mes compatriotes à remettre en question leur perception sur la personne handicapée car elle n’est pas si différente de nous. J'aimerais qu’on se pose la question de savoir si le handicap est vraiment une limite réelle ou mentale ?

Propos recueillis par Prisca Lokale