Théâtre : “Neci Pediri”, et si Dieu était une femme ? 

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Représentation de “Neci Pediri”

La question est posée par les comédiens qui jouent dans la pièce de théâtre dénommée “Neci Padiri”. Et si Dieu était une femme ? A tout bout de champ, elle émaille les 60 minutes que durent ce spectacle. De fait, la réponse à la question n’est pas vraiment importante, telle que soutenue par la philosophie de Karl Jaspers qui a fait son cheminement personnel en se posant des questions en lieu et place de se constituer une doctrine ou un système bien établi et inébranlable par la pensée, les découvertes ou la critique.

Cette pièce de théâtre est une anatomie de la société congolaise ou même mondiale, sur une question qui relève de l’intouchabilité dans l’imaginaire collectif. Avec un regard du point de vue de la coutume, de la loi et de la religion, les comédiens interrogent le sexe de Dieu dont les connaissances acquises de par ces éléments sociaux précités donnent une vision très masculine. Peut-être à l’exccès, au point que la femme n’est pas aussi valorisée que l’homme dans les textes qui les régissent, déplore Christiana Tabaro, l’unique comédienne de la pièce.

La scène se passe sur une scène. Trois hommes, dont deux, Taluyobisa et Kady Mavakala, vêtus en soutane religieuse et un, Mumba Yachi, n’a qu’une petite culotte sur lui et torse nu, et une femme ; sont devant leurs micros. Pour donner un concert ou pour dire la messe, chacun veut un peu y aller de sa propre théorie. Celle soutenue par Yachi est la défense du patriarcat qu’il trouve en danger avec la présence de la femme qui prend la parole, s’exprime, mange sur la même table que les hommes.

“Le patriarcat est en danger”

Le comédien Mumba Yachi est en petite culotte noire, torse nu, avec des dreadlocks. C’est le défenseur du patriarcat, c’est le gardien de la culture traditionnelle qui veut que la détention de l’autorité par les hommes soit la base de l’organisation sociale et juridique, excluant explicitement les femmes. Avec sa guitare, il scande le danger que court ce système avec la “modernité qui prône de plus en plus la parité”. Et si les connaissances acquises sur le monde devaient se faire dégraisser à certains points ?

Loin de vouloir donner des réponses ou de monter une voix à suivre, les comédiens du Collectif d’Art-d’Art interrogent la société, mettent le public devant une réalité sociale évidente et le laisse en faire une appréciation. Quant au patriarcat, c’est une tradition présente dans plusieurs tribus congolaises et qui “marginalise” la femme. Dans le partage du pouvoir, dans les cérémonies festives et religieuses, et même dans l’éducation.

“Le patriarcat a écrit tous les textes des livres qui gouvernent le monde : la Bible, le Coran, les lois et surtout les constitutions des pays”, relève encore Christiana Tabaro. Malgré les efforts pour parvenir à l’égalité femmes-hommes notamment dans la loi, à certains égards, cette avancée semble être en contradiction interne entre les aspirations à la démocratie et les réactions politiques et religieuses.

La principale limite du concept étant cependant sa tentation universaliste qui voudrait en faire un principe et une ressource explicatifs de tous les rapports de genre quelles que soient les époques et les sociétés. Plusieurs observateurs de la société voient encore la présence du patriarcat dans le monde avec résistance. Ce système résiste de sorte que ses reculs ne sont jusqu’à présent pas irréversibles, mais il ne jouit plus de l’invisibilité qui a été sa plus grande protection jusqu’ici. 

La révolution 

Photo Déterminée, la comédienne Christiana Tabaro - seule femmes parmi les 4 comédiens de la pièce- prend ses responsabilités pour faire valoir ce qui la touche profondément, en vue de “défendre sa condition humaine”. Entre renverser les chaises vides juste derrière eux, dire les choses avec vigueur et mimer avec des gestes rapides de bouchages des yeux, des oreilles, de la bouche. Une simple gestuelle qui peut interroger dans le fond, les enseignements reçus de bouche à oreilles qui ont somme toute modifier notre vision du monde, dans le sens de l’inégalité sociale.

L’amnésie de la réduction de la femme dans les croyances populaires, bibliques et traditionnelles est telle que Christiana s’efforce de laver le monde de toutes les ardeurs masculines dans ce spectacle. Dans une de ses partitions, elle fait la liste des femmes citées dans la Bible, de Ève à Lydie, passant par Abigael, Dalila, Berenice, femme de ponce pilote, Deborah, Tina, Elisabeth, Esther, Gemima, Jezabel, Judith, Lea, Thabita. Non sans mentionner les œuvres phares qui pourtant “ne bénéficient de la lumière d’autres prouesses masculines de la même envergure”.

La porte étendard de cette lutte dans “Neci Padiri” veut rétablir la vérité que la perversité de l’homme a changée, à travers la coutume, la loi et la religion. Cette revendication est d’autant plus légitime dans le monde actuel de sorte que le patriarcat subit tant d’attaques, si diverses, qu’on veut croire que le sens de l’histoire va contre la domination masculine. L’émancipation des femmes est un levier social et économique primordial pour toutes les sociétés, selon différentes études, au point qu’une journée est dédiée (le 8 mars) pour sensibiliser sur les droits des femmes chaque année.

Aussi, le monde a fait de l’égalité entre les sexes un des objectifs de développement durable à l’horizon 2030. C’est un des objectifs qui donne la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous. Ces 17 objectifs ensemble, répondent aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés. Les objectifs sont interconnectés et, pour ne laisser personne de côté, il est important d’atteindre chacun d’entre eux, et chacune de leurs cibles, d’ici un peu plus de 5 ans.

Pour le cas RDC, plusieurs voix s’élèvent depuis des années pour réclamer une représentativité convenable entre hommes et femmes dans les institutions. Cela, non sans argument ou support juridique. La constitution, loi fondamentale du pays, a consacré la parité dans son article 14 qui stipule :

« Les pouvoirs publics veillent à l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits. Ils prennent, dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation. Ils prennent des mesures pour lutter contre toute forme de violences faites à la femme dans la vie publique et dans la vie privée. La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. L'Etat garantit la mise en oeuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions ».

La question reste posée 

Aux yeux de plusieurs, poser des questions sur certains sujets délicats relèvent d’une attitude proche d’un acte blasphématoire. Dans une société congolaise faite de connaissances considérées comme indéboulonnables, la pièce de théâtre “Neci Padiri” vient un peu desserrer les boulons, mettant au prise la modernité et la traditionalité. 

D'une scène à une autre, des chansons en Tshiluba, Swahili, Anglais, Lingala et Français ont été entendues. Les comédiens jouent de la musique avec des instruments tels que la guitare, le violon et le Madimba simultanément.

Dieu notre père et pourquoi pas notre mère ? Et s’il était notre père, qui serait notre mère ? Dieu n’est pas homme, n’est pas femme, n’a ps de sang, n’est pas chair, n’a pas de race. Et si Dieu était une femme ? 

Michael Disanka est le metteur en scène de cette pièce de théâtre qui est en tournée présentement. S’il n’apparaît physiquement en aucun moment sur la scène, sa voix est pourtant perceptible tout au long du jeu. Il intervient de temps en temps pour questionner aussi bien le débat que son art et son rôle dans sa structure artistique le Collectif d’Art-d’Art, également recadrer les discussions des comédiens vus par le public. Il raconte, donne des exemples, pose des questions, fait évoluer le débat et le récit. 

Après avoir fait, lui aussi, le tour de la question la question primordiale de cette pièce de théâtre, elle reste tout de même posée. Si la réponse n’y est pas, comment vivre en paix avec soi-même ?

La démarche de cet artiste est de faire un art conscient, celui qui touche l’humain en commençant par des faits, histoires et toutes choses semblables qui le touchent personnellement, et bien sûr les autres comédiens qui participent à la création. Personnellement, parce que Michael Disanka considère qu’il se connaît mieux que les autres humains. Ce qui le touche, touchera bien d’autres humains aussi.

Le collectif d’Art-d’Art a présenté la pièce “Neci Padiri” à Mbanza-Ngungu, le 19 et le 20 avril ; à Kinshasa au centre culturel M’eko, le 24 avril et elle sera présentée prochainement à Lusaka, à Circus  Zambia, le 7 et le 8 mai puis à Modzi arts le 9 mai.

Kuzamba Mbuangu