Nord-Kivu : “Sisterhood table”, un programme d’autonomisation des femmes lancé à Sake

The Sisterhood Table
The Sisterhood Table

Commencé à Uhuru Knowledge Center, dans le cadre de son programme genre, un programme spécifique d’autonomisation des femmes dénommé “The Sisterhood table” a été lancé. Il se veut, pas qu’un espace de discussion, mais une solution aux obstacles au développement personnel des femmes, dans cette partie Est de la RDC. Les formations se baseront sur 5 différents domaines avec comme fil rouge, l’autonomisation économique et financière des femmes.

Les activités relatives à ce programme ont été lancées samedi 13 mai dernier, à Sake, cité située à 27 km à l’ouest de la ville de Goma, au Nord-Kivu. Sake se trouve au centre des conséquences des conflits armés autant que des catastrophes naturelles qui frappent cette partie du pays. Sa situation géographique fait d’elle un lieu stratégique et une barrière pour le chef-lieu de la province du Nord-Kivu ; mais également fait de Sake une des cités les plus fragilisées par les conséquences des conflits et des guerres.

Dans un premier temps, 20 participantes ont été sélectionnées parmi les plus de 150 femmes qui avaient candidaté. Les formations s’étendront sur un semestre avant qu’une deuxième cohorte de 20 femmes fassent le même programme pendant un autre semestre. Les femmes formées seront dans l’obligation de restituer la totalité ou la partie de leur formation à d’autres jeunes de leur communauté. L’idée est d’avoir, dans deux ans, au moins 100 jeunes filles et femmes bien formées dans des thématiques précises.

En effet, depuis avril 2021, plus de 20 rencontres mensuelles ont été organisées par Uhuru Knowledge Center, au cours desquelles les discussions ont servi à définir et identifier les obstacles au développement de la femme. Des pistes de solutions pour y répondre efficacement ont également été proposées. Certains défis étaient récurrents et communs, parmi lesquels le chômage. Une situation qui aurait freiné l’éducation de plusieurs filles, et aurait mené aux mariages précoces et grossesses non désirées.

« Sisterhood table était un espace, pour les jeunes filles et femmes, pour venir ensemble discuter sur les questions qui les touchent dans la communauté. Dans certaines activités, ils ont défini des défis personnels et communautaires auxquels les femmes faisaient face. C’est à partir de ces discussions que nous nous sommes rendus compte que le chômage ou le manque de moyens financier était une des causes très importantes des inégalités et des violences basées sur le genre dont les femmes étaient victimes dans la communauté », a fait savoir à ACTUALITÉ.CD, Emmanuella Bauma, coordinatrice de ce programme.

Table renvoi à une table de décision, où les femmes ne sont pas toujours invitées à prendre place malgré leur plein droit. The sisterhood Table voudrait que tout le monde ait sa place et que la voix de chacune soit écoutée.

Autonomisation économique

Face à ce constat et à toutes les inégalités auxquelles les femmes font face sur le marché du travail, il a été jugé utile d’orienter la vision de “The Sisterhood Table” vers l’autonomisation économique des femmes et filles en leur octroyant des compétences professionnelles et entrepreneuriales nécessaires à leur auto-dépendance financière.

« Il y a plusieurs femmes qui ont commencé de petits commerces. Mais ce sont des activités qui n’avancent jamais puisqu’elles ne savent pas comment élaborer un business plan, elles ne savent pas comment réaffecter leurs recettes, etc. C'est des formations qu’elles auront au cours des séances en entrepreneuriat », rassure Emmanuella Bauma.

Ce programme d’autonomisation des jeunes filles et femmes qui est mis en place, referme différents domaines, dont la digitalisation et la technologie, le leadership et la communication, la lutte contre les violences basées sur les genres, l’environnement et le climat, et enfin l’entrepreneuriat. Les domaines de la formation ont été choisis en tenant compte de l’actualité et des problèmes auxquels le monde fait face actuellement.

« C’est quelque chose qui manquait. Voilà pourquoi nous nous sommes avancés dans ces domaines-là. C’était important à Saké, même à Goma, puisque dans le programme nous prônons le renforcement des capacités avec la mission de promouvoir la participation de la femme aux différentes instances de prise de décision, que ce soit sur le plan politique économique, social et culturel », ajoute la coordinatrice du programme “The Sisterhood Table”.

Cette formation vise à donner des compétences à ces femmes pour qu’elles puissent créer des entreprises et répondre à plusieurs préoccupations et difficultés de la communauté et renforcer leur capacité pour bien se positionner dans le marché du travail. L’organisation fait recours à d’autres organisations qui ont des experts dans les cinq domaines pour assurer la formation.

La situation des femmes en chiffres

En RDC, les femmes rencontrent des obstacles majeurs pour accéder aux opportunités économiques et à l’émancipation. Dans le domaine de l’éducation, la RDC est confrontée à de graves disparités entre les sexes, particulièrement lors de l’accession au niveau secondaire. Conséquence, les femmes sont 28% moins nombreuses que les hommes à avoir terminé l’école primaire, et seules 16,8% d’entre elles ont terminé le cycle secondaire, soit moitié moins que les hommes.

De la même façon, le taux d’alphabétisation des femmes est inférieur à celui des hommes de plus de 22%. Les femmes sont confrontées à de fortes inégalités concernant leur pouvoir de prendre des décisions et de générer des revenus. Seules 60% d’entre elles affirment participer aux décisions concernant les achats importants du foyer, et moins de la moitié affirment participer aux décisions concernant leur propre santé.

Les mariages précoces et les taux élevés de fertilité constituent des défis importants en RDC. Les femmes qui n’ont pas fréquenté l’école ont un taux de fertilité deux fois plus élevé que celles ayant terminé l’école secondaire. Dans l’ensemble du pays, l’âge moyen à la première naissance est de 19,9 ans et 37% des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient mariées avant leur dix-huitième anniversaire, contre 6% des hommes du même groupe d’âge. La violence envers les femmes est un problème généralisé dans tout le pays, autant dans les zones urbaines que rurales.

La participation des femmes au marché du travail en RDC est estimée à près de 62%. La majorité des femmes (69.7 %) travaillent dans la production agricole, suivie par la catégorie des entrepreneures (20,5%). Cette proportion est faible si on la compare aux autres pays : l’enquête 2013 de la Banque Mondiale sur les entreprises révèle qu’en moyenne 34% des femmes travaillent comme entrepreneures dans les pays étudiés.

Une proportion encore plus faible de femmes reçoit une rémunération ou est salariée, ce qui contraste fortement avec l’emploi masculin : 23,9% des hommes actifs occupent un emploi rémunéré ou salarié contre seulement 6,4% des femmes. De plus, même si la participation des femmes au marché du travail est relativement élevée, leurs revenus sont largement inférieurs à ceux des hommes. Les femmes possèdent moins de biens, en particulier la terre : seules 7,6% d’entre elles possèdent des terres sans partage contre 21,8% des hommes.

Alors qu’elles représentent la majorité des travailleurs du secteur agricole (53%), leur accès à la terre et au crédit sont restreints, ce qui limite la productivité. De plus, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’inégalité entre les sexes est de 20% en matière d’emplois classés « vulnérables » : 90,1% des emplois occupés par les femmes contre 69, 6% des emplois occupés par les hommes.

Cette situation persiste alors que de nombreux engagements internationaux appuient l’autonomisation économique des femmes, notamment le programme d’action de Beijing, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et une série de conventions relatives à l’égalité des sexes adoptées par l’Organisation International du Travail.

Emmanuel Kuzamba