RDC : l'actualité de la semaine vue par Chantal Faida 

Photo/ Droits tiers
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De l'interdiction de diffusion de deux œuvres artistiques, à l'actualité africaine dominée par les coups d'Etat, en passant par le retour des rebelles du M23 et l'apparition d'une maladie inconnue dans la province de Kikwit, ... la semaine qui s’achève a été riche en actualité. Dans la rétro de la semaine, Chantal Faida nous propose un retour sur ces faits marquants.

Bonjour Madame Chantal Faida et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? 

Chantal Faida : Je suis militante de la paix et activiste sociale, membre de plusieurs organisations de la société civile, qui œuvrent pour la défense des droits humains et  des femmes en République Démocratique du Congo, notamment Uwema Asbl (Scolarité, entrepreneuriat des jeunes et des femmes), Restoration Africa Center (Leadership et autonomisation économique des femmes). 

La semaine a été marquée par la décision d’interdiction de diffusion des clips « Nini Tosali te » du Groupe MPR et « Lettre à Ya Tshitshi » de Bob Elvis. Après la clameur publique, cette décision a été rapportée sur instruction du ministère de la Justice. Comment avez-vous accueilli ces deux nouvelles ? 

Chantal Faida : je salue cette décision de la ministre d'Etat. Le message véhiculé dans la chanson "Nini Tosali Te" portait une symbolique très interpellatrice. C'est la photographie sociale de la vie en RDC. La population s'y est retrouvée, elle s'est appropriée cette chanson. Plutôt que de la censurer, il fallait interpeller les artistes pour ne pas avoir respecté la procédure. 

Selon les rapports de la Commission nationale de censure des chansons et des spectacles, ces clips ont été présentés au public sans son autorisation, ce qui serait à la base de sa décision. Qu’en pensez-vous ? 

Chantal Faida : je demanderai aux artistes de faire confiance à nos structures publiques pour éviter de tels incidents à l'avenir. En tant qu'artiste, on voudrait bien que son œuvre soit consommée. Mais si l'on s'écarte des normes qui régissent ce secteur, on aura beau produire des belles œuvres mais qui risqueraient de subir les coups de la censure. 

Famine, insécurité, chômage, manque d’issues et rêves brisés pour la jeunesse, peu importe les dirigeants, le système reste le même, voire se complexifie avec le temps, « Nini to sali te » dresse un bilan mitigé de la RDC, soixante et un an après l’indépendance. Que faudrait-il selon vous, pour améliorer la situation ? 

Chantal Faida : je pense que pour améliorer particulièrement la situation sociale, il faudrait commencer par améliorer la gouvernance. Les autorités devraient prioriser l'intérêt général, se mettre au service de la population. Ensuite penser à leurs intérêts politiques de manière particulière. Actuellement les valeurs sont inversées. La lutte politique concerne plus les partis politiques, trouver des quotas de représentants des partis au sein des entreprises publiques et l' intérêt de la population est relégué au second plan. 

L’armée congolaise a accusé les rebelles du M23, en provenance du Rwanda, d'avoir attaqué ses positions sur les collines de Chanzu et Runyonyi dans la nuit de dimanche à lundi. Plus de 10.000 habitants avaient quitté les deux régions pour cette raison. Que pourrait signifier ce retour des combattants M23 ? 

Chantal Faida : le retour des attaques des rebelles du M23 démontre une inefficacité des actions gouvernementales en matière sécuritaire. Et surtout la faiblesse de l'état de siège. Il faut donc une réadaptation de cette mesure, au besoin une levée de cette mesure pour que nous puissions donner à nos Forces de sécurité une seule mission, celle d’assurer l'intégrité du territoire et la protection de la population. Nos autorités de l'état de siège sont actuellement partagées entre les questions sociales, alors qu'il y a une guerre à notre porte, dans les régions qui sont censées être dirigées par les forces de sécurité. Nous pensons qu'elles sont dépassées par les priorités. Il faut donc qu'il y ait des civils qui s'occupent de l'administration civile et questions civiles et sociales et que des militaires puissent se consacrer sérieusement aux questions de défense et sécurité.

Mercredi, le général Célestin Mbala Munsense, chef d'état-major des FARDC, s’est entretenu avec son homologue rwandais, le général Jean Bosco Kazura au quartier général des RDF, à Kimihurura. Il a été notamment question de l’attaque et de la sécurité le long de la frontière commune. Que peut-on espérer de ces discussions ? Que faut-il davantage pour sécuriser cette région ? 

Chantal Faida : je pense que c'est une rencontre de trop. Face au manque de respect des accords et des dispositions en matière de protection des frontières inter-étatiques, il y a eu des graves violations dans la partie rwandaise. Ce serait naïf de croire que l'on peut aboutir à ce respect à travers cette rencontre. Il fallait d'abord penser à la phase militaire avant de passer par la phase de coopération et d'échange bilatérale. On se souviendra de l'attaque en territoire de Nyiragongo où des militaires rwandais ont fait incursion dans le sol congolais. Donc, une énième incursion et l'on se retrouve sur une même table de négociation alors qu'il y a eu mouvements des populations, situation humanitaire critique. Et il n'y avait pas de dispositions logistiques pour pouvoir accueillir des centaines de personnes. C'est un acte qui devrait être sanctionné avec beaucoup de fermeté. 

Une maladie inconnue a déjà causé la mort de 286 enfants de 0 à 5 ans depuis le mois d'août dernier dans la zone de santé de Gungu (province du Kwilu). Les experts du ministère de la santé sont actuellement sur place, afin d’en déterminer la source. Quelles sont vos recommandations par rapport à ces recherches ? 

Chantal Faida : cela démontre une situation très alarmante dans le système de santé. Elle est aussi une conséquence de la grève du personnel soignant. Lorsqu'il y a une épidémie, la première des choses à faire est d'alerter au niveau central pour que la maladie soit identifiée. Mais cela va faire plusieurs semaines que la grève perdure et l'on ne sent pas des résolutions prometteuses être prises par les autorités et le ban syndical. Il est très important d'équiper toutes les provinces des laboratoires adaptés à différentes sortes de demandes. Il ne faudrait pas tout attendre de l'INRB. Les centres de santé doivent aussi être dotés des médicaments de première urgence. 

La FAO et le PAM ont alerté sur le fait que la grave crise alimentaire en République démocratique du Congo, notamment dans l'Est, le centre et en périphérie de Kinshasa, pourrait s'aggraver dans les prochains mois si rien n'est fait. Que recommandez-vous au gouvernement pour prévenir la crise ? 

Chantal Faida : c'est aussi une conséquence de l'instabilité sécuritaire dans la partie Est de la RDC. Ce sont pourtant des régions très fertiles. Nous recommandons au gouvernement de tout mettre en œuvre pour le retour de la paix, ce qui va permettre à la population de se prendre en charge, vaquer à ses occupations, cultiver le champ. 

Concernant le secteur de l’enseignement, le gouverneur de la ville a fixé les frais scolaires pour les écoles maternelles et secondaires à 300.000 Fc pour les écoles publiques. Que pensez-vous de cette décision ? 

Chantal Faida : depuis 2019, la gratuité a été lancée par le gouvernement mais nous observons une reprise graduelle de la prise en charge des enseignants par les parents, notamment au niveau primaire et secondaire. On se demande pourquoi a-t-on pris une décision si actuellement on doit revenir à la case départ ? Il y a risque de retomber dans un degré d'abandon scolaire énorme. Notre pays a pourtant des ressources publiques qui pourraient être orientées vers le secteur de l'enseignement pour que la gratuité soit réelle et durable. 

Dans l’actualité internationale, la pression monte au niveau national et international en faveur des élections au Soudan, après le Coup d'État militaire d’avril 2019. Entre-temps, le général Burhane a nommé hier un nouveau Conseil de souveraineté après avoir dissous celui qui était en place le 25 octobre. Que faudrait-il pour aboutir aux élections selon vous ? 

Chantal Faida : Il y a un certain manque de solidarité africaine. L'union africaine particulièrement n'a pas appelé à cette solidarité en termes de stratégies, de recommandations ou de soutien à la population soudanaise. Il n'y a pas encore de consensus au niveau de la gestion de la transition au Soudan. On aurait voulu voir l'UA donner le go pour la mobilisation de tous les Etats pour limiter les coups d’Etat militaires. C'est la population qui souffre. 

En Guinée, après le Coup d’Etat du 5 septembre, l’armée a pris les commandes du pays. Celle-ci n’a pas été favorable à l’idée d’un médiateur envoyé par la CEDEAO car cela « ne paraît ni opportun, ni urgent dans la mesure où aucune crise de nature à compromettre le cours normal de la transition n’est observée ». Finalement, que vous inspirent ces coups d’Etat en Afrique ? 

Chantal Faida : cette situation est similaire à celle du Mali où un envoyé de la CEDEAO a déjà été dépêché. Ces organisations sous régionales ne sont vraiment pas efficaces. Il n'y a pas d'impacts sur la vie de la population, de leurs actions, décisions et résolutions. Les coups d'État dans plusieurs pays africains devraient être condamnés. Il encourage vraiment  le dialogue entre les protagonistes. 

Un dernier mot ?

Chantal Faida : très récemment, la RDC a perdu plus de 10.000 œuvres dans un incendie au musée de Gungu. Bien que les causes ne soient pas encore connues, il faudra faire appel à son directeur national pour reconstituer les œuvres perdues. Certes, il ne sera pas facile de tout reconstituer mais s'il y a une cohésion nationale face à cette situation, au moins 50% des œuvres pourront combler le vide créé par cet incendie. Un peuple sans culture est une nation sans histoire, dit-on. C'est une histoire glorieuse et vivante qui est partie en fumée. Que la justice fasse son travail.

Propos recueillis par Prisca Lokale