L'école est-elle encore un espace sécurisé et sain pour les enfants ?

Les élèves dans une salle de classe
Les élèves dans une salle de classe

Par Nick Elebe ma Elebe

Il y a quelques jours, la sérénité du 'bon' peuple congolais était troublée par une énième affaire de sextape. On le savait déjà, la mobilisation des ‘bonnes’ consciences congolaises passe souvent et malheureusement par des histoires situées en dessous de la ceinture. La vidéo mettant en scène les ébats sexuels d'écoliers n'avait pas dérogé à cette règle. Comme si cela ne suffisait pas, elle avait même provoqué l'ire d'un ministre qui campa avec hardiesse aux côtés des autorités scolaires qui annonçaient avec force, l'exclusion définitive des ados impudiques de l'ensemble du réseau des écoles conventionnées catholiques en RDC.

Cette histoire, et les réactions qui s’en suivirent m’ont rappelé le drame de cette fillette de 13 ans, victime il y a deux ans d'un viol en bande. Exclue de son école, en plus des traumatismes et de l’exposition de l’affaire, elle n’aurait toujours pas retrouvé le chemin de la scolarité. Là aussi, la société s'était crue en droit d’ergoter, sans faire l'effort nécessaire d'analyser, de se remettre en question et de réparer, y compris par le biais d'une justice digne de ce nom. Après constat de l’inadéquation de la gestion de ce dossier tant par l’école, que par les pouvoirs publics, je me souviens avoir partagé mon malaise avec quelques contacts. Ces derniers me répondirent en me relatant des histoires toutes aussi sordides qui me firent froid dans le dos. Parmi elles, l'histoire d'une école où les plus jeunes se rendent en groupe aux toilettes de peur d’être agressés physiquement, et même sexuellement par les plus grands ou encore celle de trafics de stupéfiants aux portes de certaines écoles de Kinshasa, dont des élèves seraient les clients.  Grand a été mon étonnement de remarquer, malgré le fait que ces pratiques nocives pour les jeunes soient connues de tous, depuis, rien n'a bougé sur le plan légal, administratif ou politique pour se prémunir de ce genre de drames.

Si je n'ai pu confirmer la véracité de ces histoires, elles forcent pourtant mon interrogation. L'école est-elle encore un espace sain et sécurisé pour les enfants qui la fréquente ? Face à l’attitude démissionnaire des parents et de la société, l’absence d’une éducation sexuelle adaptée, face à un usage abusif et licencieux de l’internet via les téléphones portables qui permettent un accès bon marché à certains sites pour adultes, et le partage d’informations en tout genre sur les réseaux sociaux … l'école possède-t-elle aujourd’hui les outils nécessaires pour relever le défi d’endiguer la progression de la dépravation des mœurs en son sein ?  Les enseignants et le personnel scolaire ont-ils reçu des formations adéquates les dotant d’aptitudes requises pour détecter dans certains enfants les signes de traumatismes résultant de violences, y compris des violences sexuelles, commises à l'école et/ou en dehors de celle-ci ? L’école a-t- elle les instruments nécessaires pour lutter contre le harcèlement en milieux scolaires et en ligne qui donnent parfois lieu à l’abandon scolaire et même à des suicides en occident ? Les parents et la société en général ont-ils conscience de l’influence que peut avoir l’environnement numérique sur les enfants ? La famille étant la cellule de base de la société, quel accompagnement offre-t-elle aux plus jeunes ?  L’Unesco et ONU Femmes ont publié des Orientations mondiales sur la lutte contre la violence de genre en milieux scolaires ; l'Etat se donne-t-il les moyens de suivre l'exécution de ces normes, y compris celles relatives à la lutte contre les violences sexuelles en milieu scolaire ? Ces orientations sont-elles connues des acteurs du système éducatif congolais ? Si oui, quel est leur niveau d'application ?

Cette dernière sextape devrait interpeller. Plutôt que d’exclure les enfants du système scolaire ou les exposer à la vindicte populaire, l'État, ses préposés, les écoles, les parents et tout le système éducatif congolais devraient réfléchir en profondeur.

Il ne faut pas oublier que le buzz, une fois passé, laisse des enfants, des parents, des enseignants et des écoles sans recours, ni repères. Il faut que ça change !

 

Sur l’auteur :

Nick Elebe ma Elebe

Juriste, écrivain et analyste politique

Expert en genre et lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG)

Directeur-pays de la Fondation Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA)