RDC : « il est de notre devoir de rappeler au Chef de l’Etat le but de son élection à ce poste », Vanessa Kaliza Cherekane

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La semaine dernière, Vanessa Kaliza Cherekane a rédigé une lettre ouverte à l’intention du Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. Elle l'a interpellé sur la portée du projet de construction de la Cité Kitoko, l’extension de la ville de Kinshasa. Dans un entretien accordé au Desk Femme de Actualite.cd, la jeune femme revient sur le contenu de sa correspondance. 

Bonjour Madame Vanessa Kaliza et merci de répondre aux questions du Desk Femme de Actualite.CD. Vous êtes entrepreneure et responsable de la mutuelle de santé Afia Kwa Wote. Pouvez-vous nous parler de vos activités ? 

Vanessa Kaliza : je suis philanthrope et activiste des Droits de l’Homme en général, et des droits de la Femme en particulier. Je dirige également une entreprise de prestations des services dénommée « Cherekane Net Services » qui travaille essentiellement dans l'événementiel, le nettoyage industriel, la décoration intérieure, la fourniture de matériels et équipements de bureaux, le recrutement et les conseils. En outre, je suis promotrice de la Mutuelle de santé Afia Kwa Wote lancée en septembre 2019 à Kalemie, dans le Tanganyika et  à Kinshasa en mars 2020. L’objectif de cette mutuelle est de favoriser l'accès aux soins de santé de qualité à tous nos adhérents, moyennant une cotisation annuelle de 80$ ou 120$ par personne. Elle s’intéresse particulièrement à la prise en charge des personnes vulnérables notamment les orphelins et enfants désœuvrés vivants dans les orphelinats. La cotisation annuelle est fixée à 30$ par enfant.

Parlez-nous brièvement de votre parcours ? 

Vanessa Kaliza : je suis détentrice d’un diplôme de licence en gestion financière de l'Université Bel Campus. J’ai également reçu plusieurs brevets de formation notamment sur la Gestion des Micros Assurances (cas des mutuelles de santé), la Gestion d'hôtellerie, l’Inspection et le Contrôle qualité. Ces différentes formations m’ont permis d’exercer des fonctions de responsabilité au sein de deux entreprises de prestations de services et nettoyage basées à Paris. Je suis co-fondatrice du Consortium de Solidarité COVID-19 (en partenariat avec Afia Mama et  la Fondation Cybelle Kamba), une organisation qui s’est spécialisées dans les actions concrètes pendant la période du confinement en mars 2020 et qui a atteint plus de 10.000 familles. Je suis également membre de la jeunesse de l'Union Africaine Baraza Beijing +25, dans la branche santé sexuelle et reproductive.

Vous avez récemment rédigé une lettre ouverte à l’intention du Chef de l’Etat Félix Tshisekedi. De quoi s’agit-il exactement ? 

Vanessa Kaliza : il s'agit de l'expression de la pensée d'une patriote. Je pense qu’il est de la responsabilité de tout citoyen congolais, peu importe son statut social et son genre, de faire du développement de la RDC un devoir patriotique, dans quelque domaine que ce soit. La lettre ouverte adressée au Chef de l’État n’est que l’expression de ma ferme conviction, en tant que fille du pays, d’interpeller nos dirigeants sur les problèmes prioritaires qui caractérisent nos populations afin de leurs permettre de prendre des décisions et les mesures appropriées pour l’intérêt général.

Au deuxième paragraphe de la lettre, vous supposez qu'une étude « minutieuse » a été menée afin de déterminer les causes réelles à la base de l’accroissement démographique observée à Kinshasa. Etude qui, selon vous, devrait être « vulgarisée afin de lever toute forme de doute quant aux motivations du Chef de l’Etat pour la matérialisation du projet Cité Kitoko ». Selon nos informations, l’Enquête Démographique et de Santé (EDS II et III) et bien d’autres études menées en RDC impliquant l’OMS, l’UNFPA, l’UNDP, le Ministère de la santé et le gouvernement dans son ensemble et établissant le lien entre démographie et développement ont relevé le retard dans la révolution contraceptive et le chômage parmi les causes de cet accroissement. Ces enquêtes sont également disponibles en ligne.

Selon vous, faudrait-il mener une nouvelle étude ? Si oui, quelles institutions devraient le faire ? Si non, pourquoi ?

Vanessa Kaliza : je suis d'avis que les études faites par les partenaires que vous avez cités ont été publiées mais jamais vulgarisées. Peu sont ceux qui savent exactement combien nous sommes et combien nous serons à Kinshasa à l'horizon 2030. Je pense humblement que les études ne devraient pas être cloisonnées sur les  sites internet tenant compte de la situation de nos populations qui ne sont pas toutes instruites et qui n'ont pas nécessairement les moyens pour se connecter à l’internet. Par devoir de transparence, la vulgarisation à grande échelle de ces études ferait en sorte que toute personne soit informée et capable d’en saisir la pertinence. Mais également de ne pas subir les mauvaises influences de certaines personnes qui voudront se servir de ce projet comme argument de campagne électorale par exemple. J’apprécie le fait que vous ayez mentionné dans votre question que ces études ont pu notamment relever que l’accroissement démographique dans la ville de Kinshasa serait la résultante d’un retard dans la révolution contraceptive et le chômage. Cependant, je reste persuadée qu’il existe d’autres causes, en sus de celle évoquées, qui peuvent expliquer l’accroissement démographique dans la capitale. Nous assistons, depuis plus d’une décennie, à une vague migratoire des populations des provinces, majoritairement des jeunes à Kinshasa, dans l’espoir de trouver un avenir meilleur. Ceci est principalement dû aux conditions de vie très drastiques qui caractérisent la quasi-totalité des provinces de la RDC. Ainsi, le fait d’ériger une nouvelle ville, aussi belle et moderne soit elle, ne répondra nullement à la question de l’accroissement démographique dans la capitale, aussi longtemps que les solutions appropriées aux causes réelles ne seront pas trouvées.

« Il est inadmissible de vouloir prétendre construire un paradis dans un enfer », que vouliez-vous dire par cette phrase ? 

Vanessa Kaliza : pour un pays avec un potentiel énorme comme le nôtre, la ville de Kinshasa n'est pas une destination de rêve. La capitale, comme le reste du pays, fait face à des problèmes socio-économiques, des problèmes d'insécurité (enlèvement, braquage, Kuluna, etc.), des problèmes d'infrastructures (manque d'eau, d'électricité, érosion, manque de routes, de chemin de fer...) qui donne l’impression, si je puis me permettre, de l’enfer sur terre. Il est inadmissible d’ériger une nouvelle cité aussi longtemps que tous ces maux persisteront au risque de transférer les mêmes problèmes à ladite cité. Il est plus que judicieux de s’attaquer aux causes et non aux symptômes.

Au dernier paragraphe de votre lettre, vous invitez le Chef de l’Etat « par son sens élevé de patriotisme, à vite orienter son mandat à la résolution des vrais problèmes de la population congolaise », laissez-vous entendre que jusqu’à présent, ces vrais problèmes sont écartés de sa vision ? 

Vanessa Kaliza : je reste persuadée que le Chef de l'Etat est de bonne foi. Mais il me semble qu’il soit en même temps confronté à certaines situations qui peuvent en fin de comptes, entraîner une altération de sa vision, celle de bâtir un Etat moderne, pacifique, démocratique et soucieux de chaque citoyen, où chaque institution va jouer son rôle selon le principe de séparation des pouvoirs. Un Etat qui va garantir le bonheur de chacun. Il est de notre devoir de lui rappeler l’objectif de son élection à ce poste. Nous devons jouer le rôle d'aide-mémoire pour qu'il arrête de penser que nous sommes sortis de l'auberge par ce qu'il lit ou signe sur papier. La réalité est autre pour nous qui vivons sur terrain. Rien ne va.

Quels sont alors les réels problèmes auxquels la population kinoise est confrontée ?  

Vanessa Kaliza : il s’agit notamment de l’insécurité, des routes auxiliaires, de la fourniture en eau potable, de l'électricité pour tous, de l'accès aux soins pour tous, du chômage, de la corruption et du détournement, le transport, l'insalubrité, l'exode rurale (que je venais d'évoquer), les érosions et les inondations pendant la saison pluvieuse faute d'urbanisation et bien d'autres choses.

Pour terminer, qu’attendez-vous concrètement du Chef de l’Etat, après la lecture de cette lettre ? 

Vanessa Kaliza : j'emprunterai les mots de Thomas Sankara : « il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous. » Et ceux de Platon : « gouverner est le métier le plus facile, il suffit juste de bien s'entourer » Que ce message soit pour le chef de l'état un aide-mémoire pour qu'il prenne au sérieux la situation actuelle de son pays, de son peuple afin qu'il ne soit pas surpris lorsqu’il sera question de faire le bilan de son mandant qui prendra fin en 2023, soit dans seulement 2 ans. Je pense que le congolais a été assez gavé de promesses quant à l’amélioration de sa condition de vie. Il est grand temps que des actions concrètes soient entreprises afin de sortir le peuple de la misère et de lui permettre de jouir des richesses que regorgent le sol et le sous-sol de notre cher et beau pays, la RDC. 

Un retour sur vos ambitions et vos projets d’avenir ? 

Vanessa Kaliza : combattre le chômage en encourageant les initiatives locales. Militer pour voir la participation équitable des femmes et des jeunes dans les plus hautes fonctions de l'état.

Propos recueillis par Prisca Lokale