Crise dans l'Est de la RDC : bien voir la trappe tendue par Macron à Tshisekedi (Tribune de Lembisa Tini, PhD) 

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Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron

Tribune

La visite officielle du Président de la République en France a permis à Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron de tourner la page d'humeur sombre de leur  rencontre en mars 2023 à Kinshasa. Le chef de l'Etat français a clairement revu ses postures discursives en citant nommément le Rwanda dont il a demandé le retrait des forces violant l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo. De quoi flatter la délégation congolaise. 

Au-délà de la forme de cette communication publique, dictée par les impératifs d'une visite officielle, le fond des propos du Président français est à scruter pour en dégager la portée et en évaluer les risques d'incidences sur le "processus de Luanda". 

Soutien a minima de Macron à la RDC 

S'il est vrai qu'Emmanuel Macron s'est montré assez attentif aux susceptibilités congolaises, il a su et pu enrober ses reproches des termes non poignants. C'est en concluant la conférence de presse conjointe qu'il s'est permis de revenir habillement sur une très contestable "fâcheuse vérité" concernant la responsabilité congolaise dans les drames de l'Est. " La réalité (...) c'est que nous parlons là d'une situation qui, depuis trois décennies, s'est installée. Et donc, nous avons raison de nous y attacher collectivement, mais ça va supposer beaucoup de courage de tout le monde et un réengagement massif à tous égards. C'est aussi pour ça que tout ce qui est fait pour réformer, recréer l'unité des forces armées en RDC et reprendre la totalité de la souveraineté du territoire est très important côté congolais ", a-t-il déclaré. En diplomatie, la chute des propos d'un officiel est généralement révélatrice de ses profondes intentions. 

Au-délà d'avoir cité "sans difficulté" le Rwanda, sans non plus avoir employé les termes "agresseur ou agression de la RDC", Emmanuel Macron n'a pas adhéré aux attentes majeures de la RDC, à savoir : les sanctions contre Kigali et la défense de la cause congolaise au Conseil de sécurité pour des sanctions onusiennes contre le régime de Paul Kagame. 

C'est dire que le chef de l'État français, conscient du poids essentiellement démographique de la RDC au sein de la Francophonie, dont il officiera le prochain sommet en octobre 2024 à Paris, a adroitement réussi à disposer la RDC, premier pays francophone, d'y prendre part au plus haut niveau (contrairement au dernier sommet tenu en Tunisie en novembre 2022). Ce, en accédant a minima aux préoccupations congolaises contre le Rwanda qu'Emmanuel Macron n'avait pas pointé du doigt l'an dernier à Kinshasa. 

Pourtant, le président français avait bel et bien promis des sanctions contre Kigali si les dynamiques, ayant du reste empiré sur le terrain, venaient à l'exiger. " Ce que nous attendons du Rwanda et des autres (acteurs), c’est de s’engager et de respecter les rendez-vous qu’ils se donnent sous la supervision des médiateurs et s’ils ne respectent pas, alors oui, il peut y avoir des sanctions, je le dis très clairement », avait-il souligné à Kinshasa. Sans annoncer des sanctions donc, alors que Kinshasa attend de Paris des mesures concrètes contre Kigali accusé en plus d'avoir déployé, depuis septembre 2023, des armes lourdes dans le Nord-Kivu, Emmanuel Macron a refusé de soutenir Kinshasa sur cette voie. Bien au contraire, à bien le suivre, il semble avoir piégé la RDC qui a intérêt de le lire entre les lignes. 

La voie macronienne de la paix entre Kinshasa et Kigali 

Le chef de l'Etat français a habillement mis sur le tapis un schéma susceptible d'orienter la suite du processus de Luanda. D'autant plus que, affirme-t-il, "Nous soutenons ces efforts et nous nous coordonnons très êtroitement avec ce qui est fait par le Président Lourenço."

Alors que le Président Tshisekedi a clairement exprimé sa condition à une éventuelle rencontre avec son homologue rwandais (retrait préalable de l'armée rwandaise du territoire congolais), Emmanuel Macron a sans ambiguité fait aussitôt remarqué que "l'engagement du Président Lourenço (pour un tête-à-tête entre les présidents Tshisekedi et Kagame, ndla) est une chance pour la sous-région, et je crois vraiment pourvoir le dire pour la RDC". Ceci n'est pas peu dire ... 

En outre, le chef de l'Elysée n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : " la priorité aujourd'hui, c'est un processus de désarmement et de sortie du territoire (congolais) des groupes armés qui n'ont rien à y faire. Alors désarmement et encadrement, si je puis m'exprimer ainsi, des FDLR, d'une part, et retrait des forces rwandaises qui sont sur le sol congolais. Ça, c'est la priorité. Puis, désarmement du M23 et processus d'accompagnement", a-t-il fait savoir. Relisons plus attentivement ces deux dernières phrases. 

Au fil du temps, la diplomatie rwandaise, qui avait auparavant nié tout soutien au M23, a fini par l'avouer sans vergogne et l'assumer publiquement en le liant à la présence des FDLR dans l'Est de la RDC. En perspective d'une rencontre de plus haut niveau entre Kinshasa et Kigali, la RDC, par le truchement de son Ministre des Affaires étrangères, aurait promis, en mars dernier à Luanda dans un document censé rester confidentiel, de présenter au facilitateur Lorenço un Plan de neutralisation des FDLR. Cette mise en évidence des FDLR,voulue par Kigali, est loin d'être anodine quand on sait que le point 8.h du communiqué final du Mini-sommet du 23 novembre 2022 sur la paix et la sécurité dans la région Est de la RDC dispose : "FDLR-FOCA, RED-TABARA, ADF et les autres groupes armés (étrangers) opérant sur le territoire congolais devront déposer les armes immédiatement et engager leur rappatriement inconditionnel (...)". Par contre, s'agissant du M23, au coeur de ces tractations diplomatiques, il y a été prévu le désarmement et le cantonnement en territoire congolais. 

Lier le règlement du dossier M23 à celui des FDLR, c'est détourner le processus de Luanda de sa trajectoire. Ceci serait non sans conséquences. En effet, il y a deux assertions des FDLR à bien garder à l'esprit. 

Primo. Celle les considérant comme des combattants génocidaires ne représentant plus une menace tactique trente ans après le génocide de 1994 au Rwanda. Ces combattants ayant vieilli, et plusieurs opérations militaires ménées unilatérament par la RDC et/ou conjointement avec les forces rwandaises ou la Monusco, ayant contribué à réduire significativement leur nombre. Des centaines des ex-combattants ont été rapatriés au Rwanda. Cette assertion, bien en faveur de Kinshasa, n'est plus la seule qui prévale dans les sillages de la diplomatie sécrète. 

Secundo. Il y a l'assertion considérant les FDLR comme une idéologie "génocidaire" innoculée par les Interahamwe et autres hutu extrémistes à leurs descendants vivant communautairement dans des recoins du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. C'est l'assertion développée par Kigali. 

Dès lors, parler des FDLR et inscrire la question de leur désarmement (loin d'être une sinécure) dans la gestion de la crise axée sur le M23, opérant sous le diktat de Kigali, ce serait faire des crocs-en-jambe à la RDC dont les offensives médiatiques, depuis deux ans, n'ont pas laissé de marbre le pouvoir rwandais. En effet, le terme générique FDLR dans les propos d'Emmanuel Macron est susceptible de jeter de la confusion aux effets redoutables. A la diplomatie congolaise d'ouvrir grandement les yeux et de persuader Luanda de ne pas valider ce schéma macronien, annoncé hautement dans une ambiance (quasi) festive. 

Lembisa Tini (PhD)